Narcisse, dis-moi tout

Comment s'aimer mais pas trop sur les réseaux ?

Camera Obscura
6 min ⋅ 17/12/2025

À quel point faut-il s’aimer pour publier sur les réseaux sociaux ? Voilà une question qui m’a taraudée ces derniers temps. Les créateurs de contenu que je vois le plus apparaître dans mon feed sont tous plutôt beaux, il faut se l’avouer, et ne lésinent pas sur le make up et autre lumière enjolivante pour se montrer sous leur meilleur jour. Leurs selfies quotidiens doivent donc, à priori, révéler un ego plutôt surdimensionné. Quoique. Dans un article du dernier Philosophie Magazine, on évoque le concept d’auto-design, développé par le philosophe Boris Groys, ou la construction de la personnalité publique - qui ne reflète, bien sûr, pas forcément la réalité. Originellement propre aux artistes au 19ème siècle, l’auto-design s’impose aujourd’hui dans la société notamment à travers les réseaux sociaux, où nous devons nous créer un personnage sur mesure. Et où nous sommes ce que nous sommes grâce au regard de l’autre et non plus notre propre regard, loin de Narcisse contemplant son propre reflet. Où est donc passé le self love dans tout ça ? Les jeunes d’aujourd’hui auraient, selon l’article, plutôt tendance à fuir leur “vrai” moi pour se réfugier dans cette image préfabriquée, non sans dommage pour leur santé mentale.

De mon côté, j’ai souvent l’oeil rougi par le dernier rhume en date, le cheveu qui frisotte, la mine dégommée par le cracking chocolat de l’avant-veille. Alors je me dis que le selfie sera pour plus tard. Ai-je raison ou devrais-je assumer ces petits défauts ? Si j’en crois la théorie du philosophe, cela ne devrait pas m’arrêter, la seule importance étant d’être cohérent dans son personnage, en prenant Trump pour exemple : un personnage horrifique, grossier, qui fait des choses que les autres dissimulent et est finalement apprécié en tant que tel - pas par tous, on s’entend bien.

Pour aller au-delà de ma propre expérience, j’ai demandé son avis à Coumbis Hope Lowie, dont je vous conseille la newsletter juste, drôle et piquante à la fois. Je lui ai demandé quelle était selon elle la recette pour avoir du succès sur Instagram. Elle m’a cité les 3 différentes catégories de personnes influentes sur les réseaux sociaux, selon elle : 

  • La catégorie de la beauté : celle qui fait rêver et sors les autres de leur quotidien, à travers une esthétique forte et à la clé, de nombreux clichés, (il faut être beau, faire du sport à haute intensité, manger sain et être dans les normes euro centrées pour plaire) - tout ça sans avoir l’air de faire le moindre effort. 

  • Le catégorie de la pitié : le misérabilisme ou la figure qui galère à laquelle on peut facilement s'identifier : mamans crevées ou trompées, galères professionnelles ou dépressions. Celle-ci attire en renforçant le sentiment qu’il y a toujours pire que soi.     

  • La catégorie de la bizarrerie, représentée par les hors normes : trendsetters, défenseurs du “ugly”, anticonformistes, humoristes qui répondent à notre besoin de grain de folie.

En conclusion, il faudrait soit être très beau, très malheureux ou très bizarre pour trouver son audience sur Instagram. Bingo, cela rejoint la théorie de l’auto-design ou le fait de se construire un personnage fort, qui marquera les esprits d’une façon ou d’une autre. Le piège étant de se retrouver étiqueté par une identité qui n’est pas forcément la sienne. Mais aussi de s’oublier soi-mêmes en s’abreuvant de la vie - et de l’avis - des autres.

Pas de chance pour ceux qui comme moi, aiment la nuance, l’inconstance, le fait de se construire un peu plus un jour après l’autre, sans à aucun moment verser dans la caricature. À moins que cela représente une quatrième catégorie ? 

Sur ces (beaux) mots, et avant la sélection du mois, j’ai le plaisir de vous proposer un atelier d’écriture partagée, en présentiel, le 20 janvier.

Vous pouvez retrouver toutes les informations ici et si vous n’avez pas Facebook, n’hésitez pas à me contacter pour plus d’infos !

LIRE

La nuit au coeur, Natacha Appanah

“C’est un moment très doux pour une mère d’écouter le sommeil de ses enfants, de les savoir en sécurité, au chaud, dans leur lit. Ce n’est pas un son à proprement parler, le sommeil des enfants, c’est un sentiment, un baume sur le coeur, une tranquillité qui vous apaise l’esprit. [...] Peut-être qu’elle souffle un peu, cette femme de trente et un ans. Peut-être que lui vient, alors que l’aube glisse sur les maisons, cette impression trompeuse qui nous titille tous quand nous pensons enfin avoir un répit, quand enfin la vie nous offre quelques journées claires, sans chagrin, sans douleur.

Ce passage m’a particulièrement marqué car Chahinez, mère de trois enfants, sera assassinée le lendemain par son mari. De mon côté, je mesure la chance que j’ai de pouvoir regarder mes enfants dormir sans avoir peur.

La nuit au coeur prend au tripes, c’est un livre dont on doit parfois se séparer quelques instants pour souffler un peu, mais c’est aussi un livre qui devrait être lu par tout le monde. La nuit au coeur entrelace trois histoires de femmes victimes de la violence de leurs compagnons, dont une, l’auteure, raconte.

Forcément, étant pile dans leur tranche d’âge au moment des faits, je me compare, je me projette, et je suis reconnaissante de ne pas avoir croisé la route d’un “sale type” du genre. Mais qu’en sera-t-il de mes filles, plus tard ? De toutes ces femmes qui ont eu la malchance d’être “tombée” dans une relation toxique sans s’en rendre compte au début - et lorsqu’elles s’en rendent compte, c’est souvent trop tard ?

Car on parle bien de tomber; l’auteur dit d’elle-même, être tombée dans un trou à ses 17 ans lorsqu’elle a rencontré le futur auteur de son calvaire. Un endroit obscur dont elle est revenue mais dont d’autres ne reviendront jamais.

Ce livre est dur mais nécessaire et Natacha Appanah avec sa pudeur, ses talents de journaliste et sa belle plume nous conscientise face au féminicide. Selon l’ONU, toutes les dix minutes, une femme est tuée par l’un de ses proches et les chiffres seraient en hausse. Il est donc temps que chacun joue un rôle - éducation, prévention, sensibilisation - pour que cela cesse.

Sur ma table de nuit en ce moment : Petit Pays de Gaël Faye (oui j’ai trois guerres de retard), que j’aime beaucoup jusqu’ici mais vu son succès, c’était clairement une valeur sûre !

REGARDER

1883 - Netflix

En parlant de beauté, j’ai une nouvelle admiration sans bornes pour l’actrice principale de la série 1883. Plantage de décor : l'Amérique en 1883, lorsque des hordes de migrants venus d’Europe tentaient de traverser le continent pour atteindre l’ouest, encore complètement dénué de propriétaires terriens et riche en promesses de nouveaux départs. La série suit un convoi de familles mené par un général déçu par la vie, à travers un pays hostile tant par la sauvagerie de la nature que celle des individus qu’on y croise - tribus indiennes, bandits, mercenaires en tous genres. Moi qui ne suis pas passionnée par les westerns d’habitude, cette série m’a tenue en haleine du début à la fin, et surtout, éblouie par sa photographie. Les paysages sont absolument majestueux et on sent un vent de liberté souffler suffisamment pour nous atteindre, nous, spectateurs. On est, par moments, transcendés par la beauté sauvage de la nature, par d’autres, effarés par la violence de certaines scènes. Mais même si la mort rôde, cette série est surtout une sublime ode à la vie. 

LOS ANOS NUEVOS - Arte

L’histoire d’un couple d’espagnols trentenaires. Voilà le pitch qui ne repose sur rien de plus que la relation des deux protagonistes, que l’on va suivre sur dix ans, un nouvel an après l’autre. Car chaque épisode est basé sur deux jours, un 31 décembre et 1er janvier, une année après l’autre. 

Tout le génie de cette série géniale repose, pour moi, sur plusieurs choses : d’abord les dialogues. J’y retrouve l’ambiance des premiers films de Woody Allen, quand ses personnages étaient encore assez réalistes que pour qu’on puisse s’y identifier entièrement. Le dialogue est naturel, plein d’hésitations mais aussi plein de justesse, c’est tellement bien écrit et joué qu’on y croit à 100%. Les personnages ne sont pas pauvres mais pas particulièrement fortunés, ont des jobs classiques avec toutes les m¨¨¨qui s’y attachent, des apparts comme on en loue sur Airbnb pour un week-end à Madrid. Des gens normaux qui ont des discussions normales, en somme, et ça fait du bien.

Deuxième chose, le réalisme des situations que traversent les personnages. Difficulté du monde du travail, inconstance, envies enfouies sous le poids de ce qu’il convient le mieux de faire. On y évoque tout ce qu’un trentenaire peut avoir traversé dans sa vie : le couple, l’amitié, les addictions, l’envie de partir à l’étranger, le besoin d’autre chose sans savoir quoi, la séparation, la parentalité, le choix. Car finalement tout est une histoire de choix et de nos façons de les assumer.

Et enfin, dernier atout majeur, les ellipses temporelles qui nous permettent, à nous, d'imaginer ce qui a pu se passer d’une année à l’autre, glanant un élément par ci par là au gré des souvenirs évoqués par les protagonistes. Un élément qui différencie Los Annos Nuevos de tout ce qu’on a pu voir dans le genre. Cette série ne plaira peut-être pas aux amateurs d’action ou de suspens mais aux autres, je recommande !

The Beast in Me - Netflix

Je viens de terminer The Beast in me sur Netflix, un aubaine si vous aimez les thriller psychologiques addictifs. On y retrouve Claire Danes, de Homeland, et ses mimiques de personnage torturé, dans le rôle d’une auteure prise dans une course folle pour découvrir la vérité sur la disparition/le meurtre d’une jeune femme. Une série qui remet en cause la violence que l’on a en nous et que nous parvenons à contrôler (ou pas). Le scénario est au top, pas d’ennui, mais rien n’est trop surfait non plus. Dérangeant mais tout aussi divertissant, c’est en tout cas à regarder (sauf pour les plus sensibles).

ECOUTER

Plutôt branchée musique que podcast en ce moment, je vous partage ma playlist de 10 chansons pour une fin d’année tout en douceur - avec du plus et du moins récent :)

Je m’arrête ici pour aujourd’hui : merci à ceux qui me lisent jusqu’au bout ! Je termine cette année pleine de curiosité pour ce qui nous attend, ravie d’enfin clôturer le cycle universel de 9 ans en numérologie. 2016-2025 a été pour moi un vrai rollercoster émotionnel et pas toujours dans le bon sens du terme. L’année 2026 est le début d’un nouveau cycle, alors haut les coeurs !

Je vous souhaite pour cette fin d’année de belles fêtes, du repos, de la sérénité, de la sagesse.

Marie

...

Camera Obscura

Par Marie-Sophie Petit